LE PITCH :
Que se passe-t-il lorsque deux courants thermiques diamétralement opposés se rencontrent ? Quelles sont les conséquences de cette collision sur l’univers qui les entourent ? Comment le monde se relève-t-il après leur impacte ?
4ème DE COUVERTURE :
Quand Richard, un PDG au cœur de glace, fait une chute mémorable devant le petit magasin de Darcy, une gentille sorcière ayant un peu trop tendance à faire passer les autres avant elle, leur rencontre fait des étincelles et l’amour n’est pas au premier regard !
Pourtant le destin est bien décidé à ce que leurs chemins se croisent encore et encore… Et encore, jusqu’à ce que leurs deux cœurs timides se chuchotent enfin les mots doux qu’ils gardaient en secret.
Parfois, ce dont les gens ont besoin pour se réchauffer ne sont pas des lattés ou des cappuccinos, mais un bon vieux chocolat chaud et des guimauves.
Ce Noël, il est de nouveau temps de croire en la magie. Avec un soupçon d’espoir, une pincée d’amour et un nuage de Foi… Tout devient possible.
Héloïse P.Latour est de retour avec une comédie romantique de Noël gourmande et engagée.
PROLOGUE
Il est dit que l’amour a le don de tomber comme par magie sur celui qui s’y attend le moins.
Il est dit que l’amour peut déplacer des montagnes, dépasser des frontières, rallier les cœurs et sauver des vies.
Il est dit que l’amour est beaucoup de choses, car l’amour est, quand on y pense, en toute chose.
L’amour vous tombe dessus, ou il vous fait tomber. L’amour fait chavirer, il fait vibrer, il fait voler ; il donne des ailes et ouvre les yeux. Et pourtant, on ferme les yeux lorsque l’on dépose un baiser sur les lèvres de sa moitié. Pourquoi ?
Parce qu’il est dit que les amoureux prendraient peur, en comprenant qu’ils volent… alors ils ferment les yeux lorsqu’ils s’embrassent, pour ne pas voir le sol se dérober sous leurs pieds.
Il est dit que l’amour a le don de tomber comme par magie… mais peut-être est-ce l’amour, après tout, la véritable magie ?
Chapitre 1 : l’effet boule de neige
Les petites villes ont un certain charme : tout y semble à taille humaine. On se croirait presque dans un village de poupées. Les rues sont plus étroites, les maisons plus basses et les échoppes ne dérogent pas à la règle.
Tout est petit et mignon dans les villes de banlieue ou de province ; et Providence est, il faut l’avouer, la ville de carte postale. Un petit port, une baie calme où quelques bateaux se partagent un océan le plus souvent doux et bienveillant. De hautes et protectrices montagnes entourent ce havre de paix, l’enfermant dans un écrin, tel un bijou précieux que l’on voudrait garder à l’écart du reste du monde…
Oui, les petites villes ont un charme, le charme intimiste que les grandes villes n’ont pas. Mais tout le monde n’y est pas sensible.
9h02
—May Lee, je t’adore, mais, s’il te plait, trouve-moi ce foutu contrat… Non, j’y serai dans quoi ? Dix minutes, tout au plus… C’est tout petit ici.
Richard, l’esprit ailleurs, le cœur toujours préoccupé par un contrat, un rendez-vous, un mail non lu, un coup de téléphone, avait oublié comment apprécier les petits plaisirs de la vie. Mais derrière ses airs de gars sérieux, il y avait un enfant blessé et apeuré.
À peine une semaine avant le 24 décembre, il aurait pu se réjouir de passer les fêtes dans cette jolie bourgade du nord du Maine. Il aurait même pu en profiter pour prendre quelques jours de congé et inviter sa petite amie à passer un séjour inoubliable dans la ville de Providence ; car cette ville était bien cela, une providence. Mais encore aurait-il fallu qu’il ait une petite amie à inviter, un compagnon, un fiancé, une fiancée, peu importe ; il aurait au minimum fallu que quelqu’un partage sa vie. Mais ce n’était pas le cas. Pas le temps pour ces frivolités. L’amour, ça fait mal ! Voilà ce à quoi se résumait sa vision du monde.
À quelques mètres de là, dans la librairie-salon de thé, au Chat Qui Lit, Darcy finissait de préparer sa deuxième thermos de chocolat chaud, prête à être servie aux clients assoiffés d’amour et de magie qu’elle accueillerait aujourd’hui. Les guimauves artisanales de Phoebe Burlough, la meilleure pâtissière de la côte, venant tout juste d’être livrées, la jeune libraire était donc prête à ouvrir.
Et c’était comme ça tous les hivers. Du 1er au 26 décembre, le Chat Qui Lit ne servait plus que des chocolats et de la guimauve.
—Flo, ma puce, tu as préparé le bol de guimauves ?
—Oui, m’man !
Darcy sourit ; sa fille, en bon petit soldat de Noël, affichait un air taquin, du sucre glace trahissant la gourmandise à laquelle elle s’était laissée aller.
—Elles sont comment ? s’enquit la jeune femme, lançant un regard complice vers son petit lutin gourmand.
La petite fille feignit la surprise et l’innocence, puis éclata de rire, avant d’avouer, finissant de se lécher le pouce :
—Délicieuses, comme d’habitude ! Mais je n’en ai pris qu’une !
Elle s’approcha de son responsable contrôle-qualité et lui déposa un baiser sur le front, tout en murmurant :
—Je sais ma puce, je sais… Je finis de ranger les livres et je te sers une tasse ?
La petite fille, du haut de ses sept ans, bien que très mature pour son âge, avait parfois du mal à refouler le petit esprit plaisantin qui sommeillait en elle ; pour le plus grand plaisir de Darcy et de sa sœur.
—Regarde-moi cet air gourmand ! Telle mère telle fille !
Lenie venait d’entrer dans la cuisine, le nez rougi par le froid. Elle affichait un large sourire et marchait d’un pas déterminé ; elle portait à bout de bras une grande gerbe de fleurs blanches et rouges, qui lui avaient été offertes par Liliane.
—C’est encore un cadeau ? marmonna Darcy, tout en réarrangeant le comptoir, juste avant l’ouverture.
—Oui, pour la peine de cœur… répliqua sa sœur, laissant tomber ledit cadeau sur le premier fauteuil à sa disposition. Et il est fichtrement lourd !
Les deux femmes se mirent à rire.
—Tu sais qu’elle t’achète ? N’est-ce pas ?
Lenie feignit un air surpris.
—Comment ça ? Miss Belford n’est pas simplement généreuse ?! Ce n’est pas le genre de femme à calculer ses mouvements, voyons !
Elles se remirent à rire de plus belle. Flora courut alors vers sa tante, se jetant dans ses bras avec amour et bonheur.
—Tata ! Je suis contente que ça n’ait pas marché avec ton chéri ! Comme ça, tu es là pour Noël !
Darcy lança un regard désolé vers sa sœur, posant une main maternelle sur l’épaule de sa fille.
—Ma puce, ne dis pas ce genre de choses…
La petite fille se retourna surprise.
—Tu as toujours dit de ne pas avoir de secret pour ceux que l’on aime !
Lenie se mit à rire et reprit sa nièce dans ses bras.
—Bah, elle a raison ! Ce mec était un con de toute façon ! Il m’a bien rendu service et, de plus, New York ne me manque pas du tout !!!
Les trois femmes rirent ; la journée commençait bien. En même temps, en étant à une semaine de Noël, tout ne pouvait qu’être magique et parfait…
Alors que tout allait bien dans le meilleur des mondes, Richard, pressé comme toujours, distrait et absent, fonçait sur le petit trottoir, évitant les marcheurs lents, si lents, tellement plus lents qu’à New York ; il aurait préféré gérer l’ouverture d’une nouvelle enseigne là-bas, plutôt qu’ici. Et pourtant, il détestait cette ville !
—Pardon, pardon !!! Y en a qui travaillent !... Non, ce n’est pas à toi que je parle May Lee. À croire que les gens ont oublié comment marcher ici… à ce rythme-là, c’est plus du pas, c’est du slow motion !
Il ronchonnait et fonçait tête baissée ; bien sûr, il ne fit pas attention au store et à la boule de neige géante qui glissait doucement vers une chute inévitable.
La douche froide. Aveuglé par la poudreuse, il dévia de sa trajectoire pour éviter une vieille dame et son chien, il se prit les pieds dans une poubelle, tenta de se raccrocher lamentablement à un lampadaire givré et atterrit, dans un vacarme assourdissant, les fesses dans un gros tas de neige blanche.
À l’autre bout du fil, son assistante, témoin aveugle et impuissant de sa chute, criait ses inquiétudes. Elle criait tellement fort que, même sans avoir le haut-parleur, toute la rue pouvait l’entendre :
—Patron ??? Patron ! Il s’est passé quoi ? Patron !!! Répondez-moi !!! Vous allez bien ???
Sans pour autant aller mal, ce n’était, pour être honnête, pas la grande forme… Richard ne prêtait même plus attention à son téléphone, étant bien trop occupé à se débattre avec l’eau givrée qui alourdissait chacun de ses mouvements, rendant une sortie de cette poudreuse avec classe, impossible.
Darcy, alertée par le bruit, comme tout le reste de la rue, du quartier, de la ville et peut-être même de la région, sortit en courant et vint offrir une main plus que bienvenue à la pauvre bête à terre, prise au piège dans le coton gelé. Lenie la suivit de près et remarqua la voix qui sortait du téléphone, elle se saisit de l’appareil et bredouilla timidement :
—Allô ?
—Vous… Surprise par le changement d’intonation, la jeune assistante resta muette quelques secondes avant de finalement bafouiller : ⸻Qui est-ce ?
—Je m’appelle Lenie, votre interlocuteur vient d’avoir un petit accident de neige… Rien de grave, ne vous en faites pas…
—Mais… mais il est où, là ?
—Ma sœur l’aide à se relever.
Enfin sur ses jambes, trempé et honteux, Richard se mit à chercher frénétiquement son téléphone. Lenie s’approcha, légèrement coupable, lui tendant l’objet de sa convoitise.
—Tenez… je, j’ai entendu quelqu’un crier… alors je me suis permis de la rassurer et la prévenir de ce qui se passait, bredouilla-t-elle, dissimulant avec peine la culpabilité qui rougissait son visage.
—Pardon ? bafouilla Richard, encore sonné par sa chute. Merci… je suppose…
La jeune femme esquissa un sourire désolé et lâcha le téléphone. Notre bonhomme de neige en herbe, tout en essuyant l’eau qu’il avait sur ses vêtements, chose inutile je vous l’accorde, reprit son assistante :
—Je te rappelle quand j’y suis.
—Mais, monsieur…
Il raccrocha sans aucune explication, puis balaya du regard toute la scène et tous les témoins de sa chute immonde.
Darcy était retournée dans le magasin à toute vitesse, profitant de la confusion du téléphone et de l’assistante apeurée, pour rapporter un peu de réconfort à ce citadin perdu à la campagne. Elle ressortit quelques secondes plus tard avec une tasse de chocolat chaud agrémentée de guimauves.
—Pour le traumatisme…murmura-t-elle.
Il la fixa, surpris et confus, puis son regard se porta sur l’enseigne derrière la jeune femme. D’une voix froide et sèche, pas comme son costume, il lança :
—C’est votre magasin ? Embarrassée, la jeune maman bredouilla un oui, auquel elle ne put rien ajouter, avant qu’il ne poursuive. ⸻Et vous gardez un foutu store ouvert en plein hiver ? Vous êtes inconsciente ! Il n’y a même pas de soleil ! C’est de votre faute si je suis tombé ; je pourrais porter plainte !
Darcy fit un pas en arrière, sentant la désagréable vague de colère qui émanait de son interlocuteur. Mais alors qu’elle aurait pu s’énerver, elle vit, au côté de cet homme, un petit garçon, les cheveux en bataille, les genoux pleins de terre et les yeux rouges, comme s’il venait de pleurer. Quelle vie a pu t’abîmer ainsi… pensa-t-elle alors.
À ce moment-là et comme à chaque fois qu’elle vivait ce genre de situation, elle eut envie de le prendre dans ses bras ; il souffrait, ce grincheux souffrait. Mais les câlins impromptus ne sont pas toujours les bienvenus. Elle se ressaisit et lui tendit de nouveau la tasse :
—Prenez ça, ça vous réchauffera.
Lenie, témoin de l’échange étrange entre sa sœur et ce malotru, ne put retenir une réflexion comme elle aimait les faire :
—Ça lui réchauffera peut-être le cœur aussi, parce qu’il n’a pas que les fesses de congelées !
Richard lança un regard choqué vers elle, mais il n’avait rien à répondre ; il voulait juste partir, disparaître et se faire oublier. Il n’aimait pas être le centre de l’attention, ironie du sort pour un PDG.
Il soupira, fixa un instant Darcy qui lui tendait toujours la tasse, fermée d’un joli capuchon mauve. Sous sa carapace, il ne pouvait résister au chocolat. Il accepta, ronchonnant un merci et reprit sa route tout en lançant de loin :
—Je vous la ferai rapporter. Et nettoyez-moi toute cette neige, c’est dangereux !
Les deux femmes se regardèrent, surprises et abasourdies par cette rencontre de choc, puis Lenie finit par rompre le silence en clamant :
—Quel con celui-là !
Elle entra dans le magasin, faisant une grimace à sa nièce qui ne put retenir un sourire. Tout en la suivant, Darcy marmonna :
—En même temps, il n’a pas tort… Je devrais penser à fermer ce store en hiver…
Sa sœur se retourna soudainement, manquant de les faire tomber toutes les deux.
—Parce que tu comptes faire ce qu’il demande ?! Tu es bien trop gentille… je ne lui aurais même pas donné de chocolat !
—Il y avait un petit garçon à côté de lui…
Lenie s’arrêta de râler, fixa la jeune femme un instant, lui prit la main et murmura :
—Ça a recommencé ?
—Ça, comme tu dis, ça ne s’est jamais arrêté.
Depuis sa plus tendre enfance, la petite Darcy avait toujours vu des choses que les autres ne voyaient pas. Des sourires sur des visages aux traits durs et froids, des larmes derrière les rires, des inquiétudes là où tout paraissait calme et serin. Elle a toujours eu ce don de voir les sentiments des autres. S’il est bien une chose que l’on ne peut faire en sa présence, c’est mentir ; elle voit tout.
Avec elle, l’expression lire comme dans un livre ouvert prend tout son sens. Mais, bien qu’étant fière et emplie de gratitude pour cette aptitude, la petite fille, devenant femme, puis adulte entourée de gens qui mentent, qui se mettent en colère, qui se trahissent et se blessent pour un rien, cette petite fille a vu son don se transformer en un fardeau qui l’a très vite forcée à se retrancher derrière l’image de la fille supra gentille, qui dit oui à tout et ne contrarie jamais personne.
Il est impossible de lui mentir, mais, elle, est devenue la meilleure des menteuses, par la force des choses, ne pouvant assumer le regard des autres sur ses actions, si celles-ci venaient à perturber leur tranquillité.
—Maman ?
Flo la regardait avec amour et tristesse. Elle n’aimait pas voir sa mère contrariée de n’avoir pu aider un de ses congénères en détresse. Darcy se retourna, pour voir sa fille qui tenait une grosse tasse de chocolat chaud, avec, posées délicatement sur un coussin de chantilly maison, trois belles guimauves saupoudrées de cannelle ; la jeune enfant savait ce qui réconfortait le cœur de sa mère. Telle mère, telle fille, pensa-t-elle.
La jeune femme accepta la tasse avec une profonde gratitude et prit sa fille dans ses bras, lui soufflant à l’oreille :
—Merci, ma douce…
La journée reprit son cours, bien que quelque peu chamboulée, la magie de Noël opérait toujours au Chat Qui Lit, et nos trois comparses s’étaient donné pour mission d’être les ambassadrices de ces instants hors du temps qu’étaient les jours qui précédaient les fêtes de fin d’année.
15h45
Le soleil, ce timide, grand absent de la journée, avait semble-t-il déjà entamé sa descente vers l’autre côté de la Terre et le ciel s’assombrissait peu à peu ; Flo était allée à l’étage remplir ses cahiers de devoirs et Lenie et Darcy emballaient quelques ouvrages qu’elles iraient déposer dans les boîtes à livres de la ville, des cadeaux surprises qu’elles offraient aux habitants de Providence.
—Je ne sais pas si on te mérite Darce ! S’exclama sa sœur, tout en déposant dans le sac en toile de lin, le dernier livre de sa pile.
Darcy sourit, patienta un instant, avant de rétorquer :
—Je n’ai rien de spécial, Lenie, je suis juste…
—Quoi, un ange ? Tu as raison, il n’y a rien de spécial à ça !
Les deux femmes laissèrent s’échapper des petits rires innocents. Mais, au fond d’elle, Lenie ne pouvait être plus sérieuse ; elle vouait pour sa sœur une admiration sans faille. Elle se rapprocha d’elle et la prit dans ses bras, tout en venant enfoncer son visage dans sa grosse écharpe :
—Je ne me suis pas remise de ce matin… jamais, je n’aurais pu me comporter aussi gentiment avec Mr Bonhomme de neige !
Darcy la dévisagea un instant, cherchant dans leurs souvenirs communs, qui sa sœur avait bien pu affubler d’un tel surnom. Elle s’en doutait, bien sûr qu’elle se doutait de qui il s’agissait. Mais elle n’avait pas envie de parler de lui. Son simple souvenir provoquait en elle une nuée de papillons qui lui chatouillait l’estomac. Et elle ne comprenait pas pourquoi ; il s’était pourtant si mal comporté !
Mais, refusant de laisser le silence s’installer trop longtemps entre elles deux, silence qui risquait d’éveiller bien des questions dans l’esprit de sa sœur, Darcy répliqua timidement :
—Qui ça ?
Lenie la dévisagea surprise.
—Ce gros con ! Ne me dis pas que tu l’as déjà oublié !
Bien sûr que non, elle ne l’avait pas oublié. Il était tombé devant son magasin, mais elle avait la sensation d’être tombée dans ses bras et elle n’arrivait pas à s’en libérer.
—Il n’était pas si méchant que ça, bredouilla-t-elle. Ne sois pas si dure Lenie !
—Madame aurait-elle craqué pour Mr Bonhomme de neige ?
Darcy fit un bond en arrière et répliqua, feignant d’être outrée :
—Oh ! N’abuse pas Len ! Il reste quand même un vieux grincheux !
Lenie se mit à rire aux éclats, et Darcy profita de ce moment pour s’éloigner et chercher comment changer le fil de leur conversation. Mais comme la providence était avec elle, l’Univers lui envoya la meilleure des distractions. Les deux jeunes femmes furent interrompues dans leurs cancans par la sonnette de l’entrée.
Liliane Belford, la fleuriste, se trouvait devant elles, le visage rouge, les lèvres tremblantes, le souffle court ; tout son corps criait la détresse et Darcy se sentit prise de vertiges.
Chapitre 2 : Un domino…
Darcy invita Miss Belford à s’asseoir. Alors qu’elle la dirigeait vers un gros fauteuil, elle lança un signe discret à sa sœur, pour qu’elle apporte une tasse de chocolat.
—Mets-y trois guimauves…dit-elle en chuchotant, puis elle se tourna vers Liliane, posa un genou à terre et lui prit les mains. Que se passe-t-il Lili ?
Miss Belford était essoufflée, elle avait visiblement remonté toute la rue en courant ; elle prit une profonde inspiration, s’essuya le front qui perlait de quelques gouttes de sueur et bafouilla :
—Le… le… l’homme de ce matin…
Tout en s’approchant avec la tasse de chocolat qu’elle tendit à la fleuriste, Lenie interrogea :
—Mr Bonhomme de neige ?
Liliane releva une tête confuse vers la sœur de Darcy, accepta la tasse avec un sourire timide et bredouilla :
—Qui ça ? Elle marqua une pause, but une gorgée de chocolat et bredouilla : ⸻Les fleurs te plaisent ?
—Oui… merci. Mais il se passe quoi avec Frosty ? répliqua la jeune femme, essayant de retourner sur l’autre sujet de conversation.
Miss Belford la dévisagea, interloquée. Lançant un regard désapprobateur vers sa sœur, Darcy reprit :
—L’homme qui est tombé devant mon magasin ce matin ?
La fleuriste planta ses petits yeux de fouine dans ceux de la jeune libraire et libéra le poids qu’elle avait sur le cœur :
—Oui ! Lui-même !
—Que se passe-t-il Liliane ?
Elle but une grosse gorgée de son breuvage, dévora une guimauve, laissant sur sa lèvre supérieure une moustache de chocolat, puis elle poursuivit, dépitée :
—Je l’ai vu au petit centre commercial en dehors de la ville…
—Oh… le repère de Satan ! s’exclama Leni, prenant une voix digne d’un podcast de l’horreur.
Darcy lança un nouveau regard froid vers sa sœur ; l’heure n’était pas à la plaisanterie et la fleuriste se trouvait à deux doigts de la crise de nerfs.
—Désolée, Lili, ne prêtez pas attention à ma sœur. Continuez.
Elle but une autre gorgée, essuya la moustache qui commençait à sécher sur sa peau et ajouta, tout en tentant de retenir des larmes intrépides qui coulaient le long de ses joues…
—Il travaille pour Coffee and Co°. Paniquée, elle balaya la pièce d’un regard perdu, comme pour s’assurer que personne n’était prêt à les agresser. Elle se pencha vers Darcy et confia : ⸻Je… je l’ai lu quelque part…
Confuse, Darcy resta muette, mais Lenie savait visiblement de qui ou de quoi leur invitée surprise parlait :
—La grosse chaine de coffee shop ?!
Liliane Belford acquiesça en silence. Lenie se laissa tomber sur le siège à côté d’elle, et murmura d’une voix triste et dépitée :
—S’ils s’implantent ici… on est tous fichus.
Darcy lança un regard désapprobateur et inquiet vers sa sœur.
—Comment ça, on est tous fichus ? Il est vraiment utile de dramatiser ?
Les deux femmes répondirent en chœur :
-
OUI !!
Miss Belford se pencha vers la libraire et chuchota :
—Si eux viennent là, d’autres suivront, et le petit centre commercial deviendra un gros complexe ; une zone commerciale même, pourquoi pas ! Et nous, on ne peut pas lutter contre ces gros lobbies… c’est une catastrophe !
La jeune libraire se redressa d’un bond, se reculant d’un pas, repoussée par les vagues de peur et de colère qui émanaient des deux femmes face à elle.
—On ne va pas se mettre à paniquer comme ça, on ne sait pas ce qui se trame…
Darcy essayait tant bien que mal de rassurer ses deux comparses, mais elle pouvait sentir la tension monter.
—Bien sûr qu’on sait ce qui se trame ! La mort du centre-ville ! s’écria Miss Belford.
—Elle a raison, Darce. Un gars dans son genre, ça ne se balade pas par hasard dans une petite ville comme la nôtre. Ils n’aiment pas la campagne, les mecs comme lui… Elle baissa les yeux et se mit à jouer avec le pan gauche de son chandail. Crois-moi, je les connais bien, je suis sortie avec l’un deux pendant trois ans…
La fleuriste avalait les dernières gouttes de son chocolat, buvant en même temps les paroles de Lenie ; elle acquiesçait par de petits hochements de tête à chacun de ses mots.
—C’est une bonne chose que vous ne soyez plus avec… ces types-là, des fruits pourris, je vous le dis… des fruits pourris… murmura Liliane, tout en essuyant de son gros doigt, à l’ongle parfaitement verni, les dernières traces de chocolat au fond de sa tasse.
Darcy qui tournait déjà comme un lion en cage, mue par la tension qui vibrait depuis le cœur des deux femmes en sa présence, bredouilla dans une vaine tentative d’être rassurante :
—Écoutez, avant de crier famine, on va tâcher de se renseigner sur ce qui se prépare là-bas ; d’accord ?
Le visage de Liliane s’illumina, elle tendit sa tasse vide à la libraire et se mit alors à fouiller frénétiquement dans son sac. Elle en sortit son téléphone et composa un numéro.
—J’appelle le maire, on doit faire une réunion d’urgence !
Lenie saisit le téléphone et raccrocha aussitôt, ce qui fit sursauter Liliane et Darcy. Surprise la jeune sœur interrogea :
—Bah quoi ? Vous pensez sérieusement qu’il n’est pas déjà au courant ?! Il est même tout à fait d’accord, si vous voulez mon avis !
Résignée, Darcy murmura, contrariée de prendre part à une action qui, elle le savait déjà, ferait souffrir beaucoup de monde :
—Elle n’a pas tort. Faisons ça entre nous.
—Qui ça, nous ? bredouilla Miss Belford, les yeux rivés sur la casserole de ce fameux chocolat que seule Darcy savait préparer.
La jeune femme lui sourit et se dirigea vers la cuisine, remplissant la tasse de la fleuriste de deux louches généreuses de chocolat.
Elle revint dans la boutique et tendit la tasse que Liliane s’empressa de saisir avec gourmandise. Darcy soupira et avoua dans un murmure résigné :
—Les petits commerçants…
21h10
Tous répondirent présents et s’étaient donné rendez-vous au Chat Qui Lit. Darcy avait pâtissé des petits bonshommes en pain d’épice et finissait de filtrer le chocolat qu’elle avait préparé dans un énorme faitout, spécialement sorti pour l’occasion ; c’est qu’il y avait du monde…
Aussi, non sans cacher leur joie, les conviés à la réunion d’urgence s’étaient tous attablés dans la cuisine de la jeune libraire, découvrant enfin l’envers du décor. Une rumeur persistait au sein de la ville affirmant que cette maison était magique et que, lorsque les rideaux tombaient, des choses extraordinaires et merveilleuses se passaient entre ces murs. Il n’y avait pas âme qui vive à Providence, qui ne soit pas convaincue que Darcy ne fût une sorcière… mais une gentille sorcière.
Et ils avaient raison, mais elle ne le criait pas sur les toits. En effet, elle aimait croire, elle en était même convaincue, qu’elle n’était pas la descendante des sorcières que l’histoire n’avait pas brûlées, mais qu’elle était l’une de celles qui l’avaient été. Aujourd’hui de retour, elle s’était donné pour mission de répandre l’amour, lasse de la peur et de la haine qui lui avait jadis coûté la vie.
Lorsqu’elle amena les quelque six litres de chocolat et qu’elle les déposa au centre de la table, chacun saisit sa tasse avec gourmandise ; rien que la douce odeur qui se dégageait du contenant calmait déjà un peu les esprits échauffés. Cette boisson avait la douce réputation d’être ensorcelée. Certains lui donnaient le pouvoir de trouver l’amour, d’autres affirmaient qu’elle maintenait la jeunesse, et il lui était aussi prêté la capacité de tout guérir ; et tout n’était pas entièrement faux…
Tout le monde servi, le débat de crise pouvait commencer, et la conversation fut ouverte par Bill Algrome, le quincailler.
—On y va et on leur dit à tous ce que l’on pense ! Il faut leur montrer à qui ils ont à faire ! S’exclama-t-il, un poing levé et serré qu’il agitait au-dessus de sa tête. Les applaudissements, les cris de joie et de soutien fusèrent dans tous les sens. Darcy essayait de garder un semblant de calme en les suppliant de ne pas se laisser emporter, mais par-dessus le brouhaha, Bill l’interpella et lança d’une voix déterminée : —Et il ne vous a rien dit ?!
La jeune femme, confuse et déjà bien contrariée par la tournure que prenait cette affaire, resta muette, se tournant désespérée vers sa sœur qui se pencha vers elle pour lui chuchoter à l’oreille :
—Mr Bonhomme de neige…
Qu’aurait-il pu bien lui dire ? À part l’insulter et la menacer, il n’avait rien fait de plus. Elle fixa Mr Algrome un instant avant de répondre un non, teinté d’une pointe d’excuses. Pourquoi était-elle désolée, après tout, ça n’était pas de sa faute…
—Rien du tout ? Rien, vraiment rien ? Vous en êtes certaine ?! Renchérit-il d’un ton sec et étouffé. Bill semblait déçu.
Beaucoup auraient pris cela pour de la suspicion mais Darcy le savait, il n’y avait dans le cœur de cet homme rien d’autre que la peur et de l’angoisse ; il y en avait partout ce soir-là, et chaque fibre dans le corps de la jeune femme hurlait la terreur, l’appel du sang et de la vengeance. À mort le capitaliste ! Allumez les brasiers ! Sus à l’envahisseur ! Elle les entendait crier aussi fort que s’ils avaient parlé avec leurs bouches et non avec leurs cœurs ; et Darcy ne pouvait supporter ce genre d’atmosphère.
—Allons, tâchons de rester calmes. Il nous faut…
Elle voulait parler, mais Liliane se leva d’un bond et scanda son discours propagandiste :
—Je connais le visage de l’ennemi ! s’écria-t-elle, lançant un regard vers Darcy qui, elle le savait, désapprouvait la dramatisation de cette histoire. J’ai déjà vu son portrait dans les magazines, il est comme tous les autres ! Il ne veut que l’argent et le pouvoir ! Et aujourd’hui il vient chez nous ! Il vient pour nous anéantir !
Les insultes fusaient à l’encontre de cet homme et de sa Compagnie et plus les langues se déliaient, plus la rage montait.
—Écoutez, je vous en prie… suppliait la jeune libraire, dépassée par la conversation. Il n’est pas nécessaire de s’emporter ainsi. Ne rendons pas l’affaire plus grave qu’elle ne l’est.
Liliane Belford la pointa d’un doigt inquisiteur et rétorqua :
—Désolée de te contredire ma grande, mais si, la situation est grave ! Nous devons nous défendre ! C’est pourquoi, je me rendrai demain sur place, personnellement et j’attends de vous que vous veniez avec moi ! Il nous faut agir, et il nous faut agir vite !
Encore une fois, ses paroles furent accueillies sous un tonnerre d’applaudissements. Darcy dut se rasseoir, prise au milieu de cette foule enragée ; elle commençait à avoir des vertiges. Elle les voyait déjà condamner cet hérétique et le mettre sur le bûcher sans aucun procès ; elle ne pouvait laisser faire cette chasse aux sorcières, tout cela réveillait des souvenirs bien trop douloureux en elle.
—Je vous en prie, s’il vous plaît. Écoutez, il n’est pas encore l’heure de sortir les fourches et les torches…
—Je ne sors pas les fourches, Darcy, je sors les crocs ! rétorqua sauvagement Miss Belford. On m’attaque, je me défends !
Tous scandaient le nom de Miss Belford, tous applaudissaient et chantaient ses louanges.
—Mais ça, on ne le sait pas encore…bredouilla la jeune femme.
—Tu es bien trop naïve si tu le penses.
Il n’y avait donc rien qu’elle pût dire pour éviter le bain de sang.
Tout aussi désagréable avait-il pu être, ce pauvre homme se verrait condamné et brûlé sans pouvoir se défendre. Elle le savait, si danger il y avait, l’attaque n’était pas la solution.
La jeune libraire, résignée et dépitée, lança un regard à sa sœur, celui que le soldat offre à sa famille avant de partir sur le front, puis elle se leva, prit une grande inspiration et répliqua :
—Ces gens-là ne cèdent pas à la menace. Si vous parvenez à le faire fuir, d’autres viendront… Nous devons parlementer avec eux, et savoir ce qui se trame vraiment. Si on se débarrasse de lui, on sait ce que l’on perd, mais on ne sait pas ce que l’on gagne. Mieux vaut s’en mettre un dans la poche que de risquer d’avoir pire. Elle regrettait déjà ce qu’elle s’apprêtait à dire. ⸻J’irai. J’irai, mais j’irai seule. Il faut se montrer calme et non pas offensif et agressif.
La pression retomba subitement ; tous lui faisaient confiance, c’était une sorte d’accord tacite entre eux. Même si les autres discours semblaient alléchants, Darcy était vue et considérée par tous comme « la » sage de la ville. Alors, dans la mesure où elle proposait une action, tous se ralliaient derrière elle, car tous savaient que c’était pour leur bien ; grâce au ciel, Liliane Belford ne faisait pas le poids. Darcy avait parlé. Vaincue, la fleuriste se rassit et murmura :
—Très bien, je te laisse le premier round, mais je viens… promis, je ne dirai rien !
22h32
Après que tout le monde fut parti, Darcy resta un instant, seule, assise dans la cuisine, entourée des tasses vides couvertes de traces séchées de chocolat chaud ; il en restait un fond dans la casserole qu’elle devrait transvaser dans un petit bol et mettre au frais. Elle le boirait certainement demain matin, lorsqu’elle serait la seule debout, comme toujours, réveillée avant tout le monde, déjà aux fourneaux.
Elle aimait ces moments-là, passés avec elle-même. Sa propre compagnie lui était apaisante et salutaire. Elle ne se jugeait pas, ne se critiquait pas, ne se redoutait pas. Seule avec elle-même, elle pouvait être la véritable Darcy, celle qui lit le monde comme un livre ouvert, celle qui met des images, des couleurs et des odeurs sur les pensées des autres, celle qui salue les étoiles et danse avec la lune. Celle qui se plante devant le soleil, ouvre grand la bouche et boit sa lumière et sa chaleur.
Elle était une sorcière, mais ne l’assumait qu’avec parcimonie. Elle savait toujours ce qui allait se passer, simplement en écoutant chanter les vibrations qui fourmillaient tout autour d’elle. Toute la ville le savait, mais, bien qu’ils eussent tous fortement apprécié ses chocolats, ses biscuits et ses bons conseils, ils n’aimaient pas lorsque, malgré elle, elle perçait à jour leurs plus profonds secrets.
Elle savait qu’elle n’était que tolérée dans cette ville et qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que ce procès contre ce Mr Bonhomme de neige ne se transforme en véritable chasse aux sorcières. Demain serait une journée décisive.
Elle finissait de ranger la dernière tasse, quand une petite voix attira son attention ; Flora se tenait derrière elle, toute jolie dans son pyjama licorne mauve, le visage à moitié caché par son doudou favori.
—Comment tu vas, maman ?
Elles se connaissaient bien et savaient que ce genre de conversation les épuisait ; la petite fille avait reçu le don de sa mère et elle savait combien cette fatigue pouvait être pesante sur le cœur. Darcy ouvrit ses bras, invitant sa fille à venir s’y loger.
—Ça va ma douce… tu n’arrives pas à dormir ?
—Ça va aller maintenant… nous ne sommes plus que quatre.
La jeune maman repoussa légèrement la petite poupée pour la regarder dans les yeux, elle lui caressa la joue droite et murmura :
—Quatre ?
Sa fille se mit à fixer le sol, enfonçant son visage dans sa peluche.
—Il arrive…
Darcy eut un instant le souffle coupé ; elle aussi l’avait senti, depuis trois jours déjà, mais elle ne pensait pas que Flo avait à ce point développé ses capacités. Elle passa sa main dans ses cheveux et resserra sa poupée dans ses bras.
—Oui, je sais, ma puce…
Elles restèrent ainsi, blotties dans les bras l’une de l’autre.
—Toujours le timing parfait celui-là…bredouilla la jeune mère célibataire.
Lenie se tenait dans l’entrebâillement de la porte et, à voir le visage de sa sœur, la jeune femme avait bien saisi de qui il était question. Liam Flint était de retour, le fils prodige, le père de Flora, l’ex-mari de Darcy parti depuis sept ans pour faire le tour du monde. La jeune mère releva les yeux pour poser son regard sur sa sœur qui lui fit un clin d’œil et lui tendit une main, tout en murmurant :
—Les filles, on dort ensemble ce soir ?
Elle savait de quoi sa sœur avait besoin... et ce n’était pas de se morfondre seule dans son lit.
Practical Magic (1998)
Par Griffin Dune, inspiré du roman de Alice Hoffman
Sur la photo : Sandra Bullock
Chapitre 3 : Les torches.
Toute la cuisine était parfumée par la cannelle, la muscade et la douce amertume du cacao ; Darcy était aux fourneaux depuis déjà deux heures, occupée à pâtisser des bonshommes en pain d’épice, lorsque Lenie débarqua dans la pièce les yeux encore embrumés par les souvenirs de ses rêves.
—Je t’en pique un ! dit-elle, tout en affichant un air taquin et juvénile. Tu fas faire quoi auchourd’hui ? Bafouilla-t-elle la bouche pleine de gâteau.
Darcy lança un regard gentiment désapprobateur vers sa sœur, lui tendit une serviette et répliqua :
—Fais attention à ne pas postillonner sur les autres biscuits… je ne voudrais pas avoir à en refaire !
—Oh, cha cherait dommache… On cherait obliché de touch les mancher, cheux-là !
Lenie se mit à rire et sa sœur, bien que sincèrement contrariée, ne put tenir son sérieux très longtemps.
—Je vais aller faire un tour au centre commercial…
Lenie lorgnait les biscuits, mais se retint d’en reprendre un autre. Elle se servit une tasse de chocolat chaud à la place.
—Tu vas vraiment y aller avec Liliane ? Elle est sympa en tant que fleuriste… Mais pour ce qui est de partenaire de discussion…
—Je n’ai pas tellement le choix.
Et elle avait raison. À peine Darcy eut-elle fini sa phrase que la clochette à l’entrée du magasin retentit. Sa jeune sœur, alors accoudée au plan de travail, un œil gourmand toujours posé sur les biscuits, malgré sa tasse pleine, se redressa d’un bond, tel un chat à l’affut.
—Bon sang ! Qui ça peut bien être à cette heure-ci ? Il n’est même pas sept heures ! Elle se figea subitement, fixant sa sœur, droit dans les yeux. C’est lui ? Déjà ?
—Non, Lenie, c’est elle. Liam sera là ce soir…
—Comment peux-tu en être certaine…
Darcy lui lança un regard surpris, venait-elle réellement de poser la question ? La jeune femme baissa les yeux ; bien sûr qu’elle en était certaine, tout comme elle savait toujours ce qu’il y avait au plus profond de l’esprit des autres... sauf du sien. Rien que de penser à cet homme, ce grincheux de la ville, elle pouvait presque sentir ses joues rougir. Pourquoi ?! Elle était la sorcière, elle était celle qui envoutait les autres. Que lui avait-il fait… La jeune libraire soupira et murmura :
—Tu t’occuperas du magasin et du petit déjeuner de Flo, s’il te plait ?
—Bien sûr, Darce…
La jeune maman enfila une grosse écharpe, son manteau et saisit deux petites thermos de chocolat et deux biscuits, puis elle fila à travers les rideaux tels un courant d’air. Lenie tendit l’oreille, elle entendit la porte, la clochette et, enfin, le silence. Elle était seule dans la cuisine, seule à devoir attendre pour savoir ce qui allait se passer…
Mais alors qu’elle se faisait violence pour ne pas reprendre un autre biscuit, un visage inconnu et non défini, flou comme un souvenir lointain, fit irruption dans son esprit. Surprise, elle sursauta. Sans y prêter attention, elle se saisit d’un biscuit et, tout en mordant dedans, elle murmura :
—Qui es-tu bel inconnu ? Son cerveau, qui visiblement cherchait à lui faire passer un message, rejoua la scène de la veille, la chute, la neige, Mr Bonhomme de neige… et l’autre… la voix au bout du fil, cette voix sans visage et dont la mélodie du ton chantait encore dans sa tête… ⸻C’est donc toi qui habites mes rêves ? murmura-t-elle tout en mordant dans le pied du bonhomme en pain d’épice qu’elle tenait amoureusement du bout des doigts.
Elle se mit à glousser, surprise de ressentir de l’intérêt pour une simple voix… mais quelle voix !
Dans la voiture de Darcy, Miss Belford se tenait assise droite comme un I, crispée comme une statue de marbre, serrant entre ses mains gantées la thermos de chocolat. Elle fixait l’horizon, visiblement prête à partir en guerre. La jeune libraire pouvait sentir la pression qui montait, et la colère qui émanait de sa passagère commençait à lui donner des vertiges.
—Vous me laisserez parler, une fois là-bas ? N’est-ce pas ? bredouilla timidement la jeune libraire. Liliane resta silencieuse. ⸻Miss Belford ? Sommes-nous tombées d’accord hier soir ?
La fleuriste but une gorgée de chocolat, croqua un morceau de pain d’épices et prit une profonde inspiration de bonheur, fermant les yeux pour savourer pleinement ce moment. Puis elle répliqua d’une voix étouffée par la colère :
—Nous sommes tombées d’accord à contre cœur ! Je pense que tu es une personne fragile et trop gentille, facilement manipulable. Je pense que tu n’as pas saisi, hier soir, le sérieux de la chose, mais permets-moi de te le reformuler plus clairement, tu vas devoir le mettre dehors…
Darcy n’aimait pas, mais alors pas du tout, la tournure que prenaient les évènements…
—Je ne vais pas là-bas pour lui faire un procès, Liliane, murmura-t-elle.
—Oh mais moi non plus ! vociféra la fleuriste qui mordait de nouveau dans son biscuit. Le prochès est déchà fait ! Il dégache !
Darcy préférait visualiser les miettes de gâteaux humides de salive qui se déposaient sur son tableau de bord plutôt que de reconnaître la rage qui émanait de sa compagne de route. Elle ne répondit rien et conclut dans le secret de son cœur qu’il valait mieux ne plus parler.
Après une vingtaine de minutes, temps qu’il fallait depuis le centre de la ville pour atteindre le centre commercial placé aux pieds des montagnes, les deux femmes arrivèrent devant un parking quasiment vide. Seules quelques camionnettes et les voitures des employés coloraient ce terre-plein de bitume recouvert de poudreuse.
—Ne te gare pas trop loin, s’il te plait… je n’aime pas marcher sous la neige !
Liliane n’était visiblement pas dans de bonnes dispositions et la jeune libraire s’inquiéta de ses réactions ; elle connaissait bien la fleuriste et, lorsque celle-ci était de mauvaise humeur, il valait mieux ne pas en être la cause.
Tentant de satisfaire au possible les exigences de sa comparse matinale, Darcy gara donc sa petite voiture non loin de l’entrée sud. Ce fut avec un nœud à l’estomac et un début de migraine que la jeune maman sortit de son véhicule, suivie de près par Miss Belford.
Elles se dirigèrent toutes deux vers les portes battantes, l’une avec la rage au ventre et l’autre une appréhension profonde et douloureuse.
Dès leur entrée dans le centre, une forte odeur de café attira leur attention. Liliane s’exclama alors aussitôt, d’un ton sec et théâtral :
—Ils ont déjà allumé les machines de l’enfer !
—Nous ne partons pas en guerre Lili, reste calme, s’il te plait…
—Bien, ça ne me plait pas ! Je ne serai calme que lorsqu’il sera parti ! Nous sommes en guerre, pauvre sotte !
La confrontation s’annonçait musclée. Darcy soupira de désespoir et pria pour que le petit garçon qu’elle avait vu en lui sache se montrer magnanime, patient et diplomate.
Encore quelques mètres et nos deux messagères se trouvèrent devant le fameux coffee shop. Sur les portes, une feuille annonçait l’ouverture prochaine du café… le 24 décembre. Miss Belford s’écria, ameutant par ce biais tous les employés qui travaillaient de l’autre côté des portes :
—Mais c’est dans une semaine ! C’est honteux ! Nous faire ça la veille de Noël !
Elle pouffait, tapait du pied et gesticulait dans tous les sens et Darcy, même avec la plus grande volonté du monde, ne parvint pas à la calmer. Elles furent interrompues par Mr Bonhomme de neige en personne.
—Je peux vous aider, mesdames ? Il observa rapidement ses deux interlocutrices et reconnut le visage de la libraire. Ses traits se durcirent pour s’adoucir et se durcir de nouveau. Darcy sentait une sorte de combat intérieur qu’il ne pouvait contrôler. ⸻Vous ?! Oui, j’ai votre tasse… je vous avais dit que je vous la ferais rapporter… Bredouilla-t-il.
—Nous ne sommes pas là pour ça ! vociféra la fleuriste.
Il se tourna vers elle, surpris et interloqué.
—Pardon, mais vous êtes qui ? Puis, sentant qu’il perdait pied, il se tourna de nouveau vers Darcy. ⸻Êtes-vous venue pour vous excuser ? Lança-t-il d’un ton faussement assuré.
Darcy, surprise, gênée et confuse, finit par répliquer pitoyablement :
—M’excuser de quoi ?
—Mon costume est fichu à cause de votre store !
La tension montait, Liliane pouffait de rage.
—Et tu vas le laisser te parler comme ça ?!
Darcy lança un regard désapprobateur à Liliane. Puis elle observa longuement l’homme qui se tenait devant elles. Derrière ses airs froids et hautains, la jeune femme pouvait encore percevoir ce petit garçon qui cherchait cruellement à se faire des amis ; elle eut encore une fois l’envie profonde de le prendre dans ses bras, mais se retint et répliqua d’un ton timide, feignant l’assurance :
—Techniquement, c’est à cause de la neige, et je ne suis en rien responsable du temps qu’il fait en hiver… Mais j’ai fermé le store, si vous voulez tout savoir.
Miss Belford laissa échapper un petit cri aigu avant de râler tout fort :
—La bonne affaire ! Votre costume est fichu ?! Et vous croyez qu’on va pleurer pour vous ! AVEC ÇA, hurla-t-elle, en pointant du doigt le magasin. VOUS POURREZ VOUS EN RACHETER DES CENTAINES !!!
Liliane était hors de contrôle. Darcy la saisit par le bras, essayant une nouvelle fois de la calmer ; elle lança un regard désolé vers Mr Bonhomme de neige et prit Miss Belford en aparté :
—Liliane, par pitié, calme-toi ou on repart. On s’était mis d’accord, je parle.
—Mais là, tu ne parles pas !
—Laisse-m’en le temps !
L’homme au costume fichu se rapprocha d’elles et interrompit leur conversation :
—Pardonnez-moi, mais vous voulez quoi ? Parce que j’ai encore beaucoup de travail…
Liliane se tourna vers lui, lui lançant un regard noir, les yeux remplis de colère, les lèvres tremblantes ; son cœur battant la chamade, ses joues devinrent rouge sang. Elle allait parler quand Darcy se planta devant elle, se tenant ainsi entre eux deux. Elle lui fit un signe de la main, lui indiquant de se taire et répondit avec douceur :
—Désolée… Elle lui tendit une main amicale. Je m’appelle Darcy Mulligan, je suis la propriétaire de la librairie salon de thé, le Chat Qui Lit. Et elle, c’est Liliane Belford, la propriétaire de la boutique de fleurs, les Roses de Providence.
—Richard Piewzky. Sa poignée de main était ferme mais douce. Je ne sais pas si enchanté serait le terme approprié…
—Nous ne sommes pas là en ennemies… Elle resserra légèrement ses doigts et le fixa droit dans les yeux. ⸻Enchanté sera parfait, si vous le voulez bien.
Ils se regardèrent ainsi quelques secondes, sans dire un mot. Darcy, pour la première fois de sa vie, était tétanisée devant quelqu’un. Elle n’arrivait pas à lire en lui. Il y avait bien ce petit garçon, mais l’homme, l’adulte, était un livre ancien, un grimoire fermé par un cadenas rouillé. Elle le fixait, lui tenant toujours la main. Muette et paralysée.
—Que puis-je faire pour vous ? murmura-t-il finalement, libérant avec délicatesse ses doigts engourdis par la poigne de la jeune femme.
Honnêtement, Darcy ne savait même pas ce qu’elle faisait là. Le café était déjà implanté, et l’ouverture prévue dans une semaine. Elle ne voyait pas ce que lui pouvait y faire, et ne voyait pas comment se sortir de cette fâcheuse situation. Elle hésita un instant, mais la pression qui émanait de Miss Belford amplifiait sa migraine ; elle devait parler. Elle se frotta la tempe gauche, comme pour gratter un bouton qui démange, même si elle savait que cela ne ferait pas partir la douleur, puis avoua timidement :
—Nous sommes venues voir ce qui se passait ici… une enseigne comme celle-ci, dans un petit centre comme celui-ci va attirer d’autres magasins et nous… les commerçants du centre-ville, nous allons en pâtir.
Il baissa les yeux, tentant de dissimuler la petite pointe de tristesse qui se dessina sur son visage, comprenant le sujet de la discorde, puis les releva, affichant de nouveau un air froid et distant :
—Je comprends bien, mais je n’y peux rien… et si vous regardez le bon côté des choses, ce genre de centre apporte beaucoup à l’économie d’une ville, il encourage à la construction de complexes hôteliers, de restaurants, il attire ensuite le tourisme… et les touristes aiment bien les produits locaux… et c’est chez vous qu’ils viennent pour les acheter.
Ils savaient tous les trois que ce discours était le message publicitaire tout fait d’un commercial et que rien ne leur garantissait d’échapper à la faillite.
Darcy voulait lui dire, elle voulait lui dire que lui, comme elle, savait que les centres commerciaux étaient la mort des centres-villes, qu’il n’y avait aucun moyen de rivaliser avec les prix pratiqués dans ces enseignes. Mais elle savait aussi que lui ne pouvait rien y faire… Elle se retourna vers Liliane qui bouillonnait sur place et lui fit signe de se remettre en route, elle comptait clore la conversation et prendre le temps de réfléchir à la situation.
Mais Miss Belford ne l’entendait pas de cette oreille ! Elle la poussa d’un revers de la main et vint se planter devant Richard :
—Et vous pensez qu’on va avaler vos sornettes ?! Vous parlez de produits locaux… parce que vous comptez en vendre, ici ? Les pâtisseries que vous avez dans vos stocks, viennent-elles de chez nous ? Le lait, la farine ? Sont-ils des fermes alentour ? NON ! TOUT EST INDUSTRIEL !!! Votre Centre Commercial va nous tuer ! Il va nous tuer ! Vous êtes un assassin !
Richard fit un pas en arrière, évitant de justesse la main de Liliane.
—Oh, on se calme là, je ne suis pas le diable en personne tout de même !
—Ah bah ça non, vous n’êtes pas le diable, vociféra la fleuriste enragée. Car lui au moins, il assume ses crimes ! Vous n’êtes qu’un de ses suppôts !
—Non, mais vous n’êtes pas bien ?
Elle se jeta sur lui, Darcy essayant de la retenir glissa et, alors qu’elle partait sur le côté, sa tête se rapprochant dangereusement d’un banc, Richard la saisit, tombant avec elle, lui évitant ainsi une chute qui aurait pu lui être fatale.
Lorsque leurs corps heurtèrent le sol, Richard resserra son étreinte pour qu’elle lui tombe dessus, le choc fut violent et il laissa s’échapper un petit grognement discret. Ils étaient à présent tous les deux par terre et il la serrait toujours dans ses bras. Elle pouvait sentir sa respiration saccadée et la douce odeur de musc et de citron qui se dégageait de lui à chacun de ses mouvements.
Son étreinte était ferme, ses bras musclés et la chaleur de son corps la rassuraient. Elle avait mal, lui aussi certainement, mais, au moins, elle était en vie.
—Comment allez-vous ? Son ton était sincère et son regard compatissant.
Darcy se dégagea de lui, le libérant, il se releva et tendit une main à la jeune femme, main qu’elle saisit. Tout en essuyant frénétiquement son manteau, elle bredouilla :
—Ça… ça va… merci… désolée… désolée pour tout ça…
Darcy tremblait, mais ce n’était pas de la peur ; la chute avait fait monter la migraine qui maintenant s’en prenait violemment à ses facultés visuelles. Ses yeux injectés de sang pleuraient des larmes acides qui lui voilaient la vue. Elle fut prise d’une forte nausée ; Miss Belford, qui les regardait, toujours très énervée saisit le bras de sa comparse :
—Tu ne vas pas pleurer devant lui, tout de même ? ! Ressaisis-toi ! Une chute, ça n’est pas grand-chose ! Allez, ressaisis-toi ! Ne lui montre pas tes faiblesses !
Richard se rapprocha doucement d’elle, lançant un regard froid et désapprobateur vers son agresseur, lui faisant signe de s’éloigner. Puis il saisit la main de la jeune femme, tout en murmurant :
—Ce n’est pas une faiblesse de pleurer. Il passa sa main sous le menton de la jeune femme. Sont-ce là des larmes de migraine ? Darcy confirma d’un hochement de tête silencieux et douloureux. Si je vous offrais un café… ça aide, il paraît ?
Liliane voulut refuser, mais Darcy n’était pas en état de conduire et, à choisir entre attendre dans la voiture, au froid, ou ici, au chaud avec un café, la fleuriste eut vite fait de ranger son honneur tout au fond de son sac et de l’oublier pour un temps.
Il les invita à s’asseoir à l’une des tables où de gros fauteuils attendaient de recevoir leurs premiers clients ; il disparut derrière le comptoir pendant quelques minutes et revint avec trois cafés, et un cachet.
—Vous avez raison, les produits que nous servons ne sont pas des produits locaux, mais, dans toutes les grandes enseignes, c’est ainsi. Il hésita un instant. C’est le commerce…
Darcy tenait son café bien serré entre ses mains, elle avala le cachet qu’il lui avait gracieusement apporté et but quelques gorgées tout en murmurant un merci aussi léger qu’un soupir. Liliane, elle, ne le regardait pas, elle fixait sa tasse avec dédain ; il ne put s’empêcher de décrocher un sourire discret et d’ajouter :
—Il n’est pas empoisonné, vous pouvez le boire.
L’ignorant toujours, Miss Belford haussa les épaules et avala la moitié de sa tasse d’une traite. Darcy aurait voulu relever sur le sujet des produits locaux, mais la douleur la paralysait complètement. Elle ouvrit un moment les yeux, se tournant vers lui et voulut parler, mais il lui saisit la main, se pencha vers elle et rangea dans sa poche un petit morceau de papier. Puis il murmura à son oreille :
—Nous reprendrons cette conversation plus tard… ne vous en faites pas.
Fixant toujours son café, Liliane bafouilla dans sa barbe :
—Je ne vois même pas pourquoi on est venu là. Un simple petit commercial… voilà ce qu’il est. Un pantin ! Elle se tourna vers lui, avala cul sec le fond de son verre et se leva subitement. Vous ne nous êtes d’aucune utilité ! Partons !
Sans attendre son chauffeur, Miss Belford se dirigea vers la sortie.
Darcy se releva doucement, aidée par Richard.
—Êtes-vous en état de conduire ?
Elle acquiesça d’un hochement de tête silencieux et murmura :
—Merci pour le café… et le cachet. Je suis encore désolée pour cette scène… vous ne serez plus importuné.
Elle regretta ses derniers mots, à peine furent-ils sortis de sa bouche. Elle savait pertinemment qu’elle ne pouvait rien contre la rage de Liliane, et que celle-ci préparait déjà une contre-attaque, mais ses inquiétudes furent balayées par la voix douce de Richard qui, lui saisissant la main, l’interpella :
—Je ne suis pas inutile… et je pense qu’ensemble, on peut, peut-être, trouver une solution.
Elle le dévisagea, confuse, mais elle pouvait déceler chez lui une certaine forme d’espoir et d’excitation. Il se rapprocha et la fixa droit dans les yeux.
—Je vous ai laissé ma carte de visite. Appelez-moi quand vous irez mieux. On peut, peut-être, faire quelque chose… après tout, je ne suis que le PDG, dit-il, sous la marque de l’ironie, tout en lançant un regard noir vers Lilian. Je suis libre de prendre de nouvelles décisions.
Miss Belford qui était déjà arrivée à la porte, pouffa de rage et de dédain et partit en grognant des insultes et des menaces.
Darcy avait tant de questions qui se bousculaient à ce moment-là dans son esprit, mais, malgré le cachet, la douleur restait encore intense ; résignée, elle le salua d’un hochement de tête et tout en se dirigeant à son tour vers la sortie, lui murmura :
—Je vous appelle ce soir.
Elle allait passer la porte lorsqu’elle l’entendit chuchoter :
—Alors, j’attendrai cet appel avec impatience.
Lorsqu’elle se retourna, Liliane avait disparu.
La jeune libraire marchait doucement et peina à retrouver son chemin jusqu’à la sortie. Quand enfin elle arriva dans le parking, à hauteur de sa voiture, Miss Belford l’y attendait, trépignant d’impatience.
—Qu’est-ce qui t’a pris, autant de temps pour sortir ? Je suis congelée !
Darcy choisit de garder pour elle le rendez-vous qu’ils s’étaient fixé, car elle savait que la fleuriste gâcherait encore une fois tous ses efforts de traité de paix. Elle esquissa un sourire et marmonna :
—On ne marche pas vite quand on a mal à la tête…
Miss Belford la dévisagea, surprise.
—Ce n’était pas du cinéma ?!
—Non…
Tout en entrant dans la voiture, Liliane murmura :
—Le PDG ! Tu as entendu !? C’est donc bien le diable en personne…
Darcy ne dit rien, allumant le contact, tout en se frottant d’une main fébrile le flanc gauche ; ses côtes lui faisaient mal.
—J’espère qu’elles ne sont pas fêlées… murmura-t-elle…
—Et je souhaite que les siennes SI ! s’exclama Liliane. Il ne mérite que ça !
—Il m’a évité une chute qui aurait pu m’être fatale, Lili… tu ne peux pas être agressive à ce point…
—Oh, ça va ! grogna-t-elle, tout en se tournant vers la fenêtre pour ne pas avoir à regarder sa compagne de route.
Le reste du trajet fut respectueusement silencieux, Miss Belford gardant pour elle ses réflexions et ses projets de guerre. Enfin chez elle, Darcy retourna se mettre au lit, sachant que sa sœur et sa fille prendraient soin de son magasin. Elle avait besoin de repos, ce soir Liam serait là et, face à lui, toute l’énergie qu’elle pouvait accumuler ne lui serait pas de trop. De plus, elle devrait trouver du temps pour rappeler Richard.
Practical Magic (1998)
Par Griffin Dune, inspiré du roman de Alice Hoffman
Sur la photo : Sandra Bullock et Aidan Quinn
Chapitre 4 : Speakeasy
Lorsque Darcy rouvrit les yeux, le soleil avait déjà entamé sa descente vers l’autre côté de la Terre. Elle sortit de sous les draps et s’assit sur le rebord de son lit, ses côtes encore engourdies par la douleur, mais, au moins, elle pouvait bouger. Elle souleva son pull et un petit hématome commençait à colorer son flanc gauche.
La tête encore prise dans les brumes de sa migraine, avec laquelle elle devrait vivre pour encore au moins deux jours, elle saisit son téléphone et se leva. En bas, depuis la cuisine elle pouvait entendre parler trois voix distinctes : sa sœur, sa fille et un homme… Liam, il était de retour après sept ans d’absence.
Non sans une légère appréhension, elle rejoignit le petit groupe par l’escalier qu’elle et Flo avaient baptisé le chemin des délices, les marches donnant directement dans la cuisine.
Il était là, sous ses yeux, semblable en tous points à celui qu’il était lorsqu’il l’avait quittée, enceinte de trois mois.
Flora prenait son goûter, une pomme Granny, coupée en morceaux, qu’elle trempait dans du chocolat chaud et Lenie étiquetait quelques boîtes de biscuits. Et lui, fidèle à lui-même, observait la scène de loin, ne faisant rien d’autre que de prendre soin de sa petite personne.
Lorsqu’il aperçut son ex-femme, il décocha un large sourire niais, se leva d’un bond de sa chaise et s’avança vers elle.
—C’est à cette heure-là qu’on se lève, petite flemmarde ?
Sans relever le nez de son bol, la petite Flora rétorqua :
—Tout le monde n’est pas en vacances depuis sept ans, Liam… tu devrais lui montrer un peu plus de respect, et simplement lui demander comment va sa tête.
L’ex de Darcy resta sans voix et les deux sœurs ne purent s’empêcher de rire discrètement. Sa tante se pencha vers elle et lui souffla à l’oreille :
—Bien lancé, Flo !
Un peu gêné et bête, il baissa les yeux vers le sol et murmura :
—Tu as toujours tes migraines ?
Elle attendit quelques secondes avant de répondre, tâchant de prendre sa voix la plus douce et bienveillante :
—Oui, toujours… il y a certaines choses qui ne changent pas. Que fais-tu ici ?
Il redressa les épaules, bomba le torse et lança fièrement :
—J’ai une fille et une femme ! Je suis venu les retrouver, comme promis !"
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